Bail à loyer et impôt foncier : Des mesures insuffisantes pour faire face à la crise du logement

La coalition Wunnrecht, qui regroupe une vingtaine d’associations ainsi que des citoyens individuels, s’est constituée en septembre 2020 pour dénoncer la crise aigüe du logement et défendre le droit au logement. Elle a notamment organisé deux manifestations nationales pour le droit à un logement digne et abordable le 10 octobre 2020 et le 27 mars 2021.

À la suite de ces manifestations, la coalition a eu en mars 2022 deux entrevues perçues comme constructives avec le Ministre du Logement Henri KOX, par rapport aux différents chantiers à aborder dans le domaine du logement. Le Ministre soulignait à cette occasion le fait de partager notre constat de l’état d’urgence au niveau du logement et donnait aussi des indications sur les initiatives législatives qu’il comptait prendre dans les mois à venir.

Au mois d’octobre, à l’occasion de la Semaine nationale du logement, le gouvernement a effectivement présenté plusieurs initiatives législatives dans le domaine du logement, d’une part des amendements au projet de loi sur le bail à loyer, d’autre part la réforme attendue depuis longtemps de l’impôt foncier, combinée à de nouvelles taxes qui ont l’objectif affiché de lutter contre la spéculation foncière.

Malheureusement, les deux projets restent largement en-deçà de ce qui serait vraiment nécessaire, et, à certains égards, risquent même de rendre l’accès à un logement digne et abordable encore plus difficile !

La révision du projet de loi sur le bail à loyer, dont la première version restait largement insuffisante pour vraiment permettre d’agir contre la hausse faramineuse des loyers, était effectivement une revendication centrale de la coalition Wunnrecht. Les amendements introduits par le gouvernement améliorent certes, sur certains points, le projet de loi par rapport à la première mouture, mais comportent un changement d’orientation majeur, qui détérioreraient la situation s’ils étaient adoptés tels quels.

Ainsi, le Ministre du Logement a finalement concédé que le plafond actuel de 5% du capital investi, en place depuis les années 1950, ne correspond plus à la réalité du marché. Il s’est donc proposé de le baisser à 3,5%, voire à 3% du capital investi pour les logements qui forment des passoires thermiques et ne correspondent pas aux exigences actuelles d’efficacité énergétique. La coalition Wunnrecht estime qu’une prise en compte d’autres facteurs, dont notamment l’évolution générale des salaires et du coût de la vie, pour l’établissement réel du montant d’un loyer constituerait une véritable adaptation de la loi du bail à loyer.

Même si cet abaissement du plafond pourrait être perçu a priori comme un pas en avant, il constitue en réalité un pas en arrière, puisque le gouvernement change en même temps de mode de calcul de l’adaptation du capital investi au fil des années. De ce fait, le gouvernement finalement ne met pas de frein aux loyers souvent déjà surélevés sur le marché actuel, mais il remplace à vrai dire la notion de capital investi par celle d’évolution du marché.

Les cas concrets publiés par le Ministère prouvent que la proposition du gouvernement ne change absolument rien à la situation générale des loyers courants, car ceux-ci sont inférieurs au loyer maximal que le projet de loi du gouvernement doit permettre, alors que de nombreux ménages locataires ont déjà atteint depuis longtemps la limite de leur capacité financière. Dans certains cas, le plafond du capital investi pourra même être quatre fois plus élevé que le plafond actuel. Ceci vaut en particulier pour des logements vieux et souvent mal isolés.

Donc, il s’agit d’une modification qui va totalement à l’encontre de l’objectif affiché d’améliorer l’accès à un logement digne et abordable.

Aux yeux de la coalition Wunnrecht, le Ministre a fait complètement fausse route et doit réviser une seconde fois son projet de loi.

La coalition Wunnrecht regrette par ailleurs que le gouvernement n’ait pas choisi de prévoir une prise en charge intégrale des frais d’agence par le propriétaire, même si la participation à 50% du locataire et du propriétaire constitue toutefois déjà une amélioration par rapport à la situation actuelle.

La coalition Wunnrecht reste également sur sa faim en ce qui concerne le projet de réforme de l’impôt foncier. Ce projet, en attente depuis des décennies, a certes déjà l’avantage d’exister. La base de calcul de 1941 n’était certainement plus tenable et une réforme généralisée de l’impôt foncier était nécessaire depuis longtemps.

Par ailleurs, l’instauration de deux nouveaux impôts nationaux contre la spéculation, respectivement l’impôt sur la mobilisation des terrains ainsi que l’impôt sur la non-occupation des logements, répondent globalement à une revendication de la coalition. En effet, les actuels impôts communaux sur les logements inoccupés ne sont appliqués que dans quelques communes, et se sont avérés peu efficaces. La nécessité d’un impôt national, et non facultatif, était une évidence depuis longtemps. Le problème toutefois est que les nouveaux impôts ne seront pleinement effectifs qu’en 2037, alors que la situation du marché du logement est déjà exacerbée à présent !

La coalition Wunnrecht regrette par ailleurs que le gouvernement prévoit certes une progressivité dans le temps (par rapport à la durée où le terrain ou le logement ne sont pas sur le marché), mais non par rapport à la superficie et au nombre de biens immobiliers aux mains d’un seul propriétaire. Sur ce point, le gouvernement manque de courage politique pour s’attaquer à cette tendance accrue d’une concentration de propriétés immobilières entre quelques mains. Pour rappel, selon une étude du LISER publiée en 2019[1], 159 personnes physiques détenaient à elles seules un quart (25,1%) de la valeur des possessions foncières disponibles aux particuliers !

Le grand absent des projets gouvernementaux, c’est un véritable plan de création de logements à coût modéré, de logements pour les couches de la population les plus vulnérables telles que les primo-arrivants, les bénéficiaires de protection internationale, sans oublier les familles monoparentales ou étudiants. Pour toutes ces populations, l’offre de logements à coûts abordables reste largement insuffisante. Dans un futur proche, même une couche plus aisée de la population se retrouvera impactée par un marché de l’immobilier saturé et inabordable. Cette inaction forme une faute politique dont les conséquences pèsent déjà lourdement sur un grand nombre de ménages.

Le seul point positif que la coalition Wunnrecht voudrait saluer, est le dépôt d’un projet de loi – passé quelque peu inaperçu par rapport aux autres mesures – portant sur la suspension des déguerpissements jusqu’au 31 mars 2023. Dans le contexte actuel d’une crise énergétique et du pouvoir d’achat, il convient d’admettre qu’il s’agit d’une mesure de première nécessité afin d’éviter des situations de précarité sociale extrêmes. Mais comme cette loi de seulement quelques phrases n’est toujours pas avisée par le Conseil d’Etat et ne peut pas encore être votée à la Chambre des Députés, elle perd toute son utilité et nous déplorons de ce fait que des personnes soient mises actuellement devant la porte en plein hiver.

[1] Voir la Note 23 de l’Observatoire de l’habitat, Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (LISER), « Le degré de concentration de la détention du potentiel foncier destiné à l’habitat en 2016 », https://logement.public.lu/dam-assets/documents/publications/observatoire/Note23-A4.pdf. Voir aussi les conclusions en résumé : https://liser.elsevierpure.com/en/publications/le-degr%C3%A9-de-concentration-de-la-d%C3%A9tention-du-potentiel-foncier-de.

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